Le poisson est un aliment qui figure de plus en plus dans les menus des Français. Mais la qualité n'est pas toujours au rendez-vous, et le pays à la traîne sur l'aquaculture, pourtant en forte croissante partout dans le monde.
" Nous avons tous les atouts pour être un des grands pays du secteur, mais on ne sent pas un intérêt, une volonté des pouvoirs publics d'encourager la croissance du secteur, pénalisé par ses contraintes réglementaires ou administratives ", déplore Pascal Goumain. Il a repris avec ses associés d'Aquaponic Management Project (AMP) en 2014 une ferme aquacole au large de Cherbourg, sous le nom de Saumon de France.
L'installation ne tourne pas encore à plein régime, l'empoissonnement est faible, les récoltes peu abondantes. Mais il n'est pas question pour les équipes de Saumon de France de chercher à forcer les cycles naturels. " Il faut trois ans entre l'oeuf et la récolte. On va donc remonter petit à petit. Nous totalisons de 200 à 300 tonnes de production, à peine 10 % des capacités de la ferme. Nous serons très heureux déjà d'arriver à 1000 tonnes" prévoit Pascal Goumain. La montée en puissance ne remettra pas en cause les qualités techniques et gustatives des saumons : une faible densité (pour le bien-être des poissons), une alimentation sans OGM, antibiotiques
ou pesticides, des courants forts qui musclent l'animal et diminuent son taux de graisse, au total une teneur importante en protéines et oméga-3, la qualité est au rendez-vous, d'autant plus que la proximité entre la ferme et l'usine de transformation garantit la fraîcheur au moment des expéditions. À terre, se trouve aussi une installation qui assure le grossissement des alevins, qui seront ensuite transférés en mer plus gros, plus robustes, avec un meilleur taux de survie et permettant une récolte plus efficace et désaisonnalisée.
Le métier reste toutefois exposé aux aléas, qui ont déjà par le passé, lourdement pénalisé l'exploitation : la pollution, la maladie peuvent frapper. " Il est dangereux d'être monosite. Nous devons créer d'autres élévages pour diversifier le risque", avertit Pascal Goumain. C'est un des axes de croissance de Saumon de France, avec la création d'une boutique du saumonier, qui réunira au même endroit la production, la transformation et la vente. Un site internet marchand, en pleine croissance, contribue aussi à faire connaître la marque. " Nous voulons sortir des poissons qui soient des best-sellers ", résume le dirigeant.
Du poisson au légume
L'autre grande innovation de l'entreprise est l'aquaponie. Pour faire simple, cette technique met en symbiose les poissons et les végétaux dans un cycle vertueux. Les déjections des poissons servent d'engrais pour les végétaux qui filtrent l'eau, laquelle est réinjectée dans les bassins. L'expression la plus parfaite de l'économie circulaire.
AMP exploite une serre pilote en Anjou et vient d'être sélectionné dans l'appel à projet " Réinventer la Seine ", au sein du dossier porté par la Financière Pichet, " les quais en Seine ", sur la presqu'île Frissard. Au milieu des résidences touristiques et étudiantes, on trouvera une ferme aquaponique conçue par AMP. " Cela va nous donner une grande visibilité ", constate Pascal Goumain. L'aquaponie est dans l'air du temps, au confluent de cette tendance forte d'agriculture urbaine. Mais qui ne s'improvise pas : "il faut des compétences pour faire marcher ce type d'exploitation. Nous avons notamment modernisé la technologie avec du monitoring pour contrôler
la qualité de l'eau. Nous sommes des aquaculteurs, nous savons comment élever des poissons". De plus, l'aquaculture ne fonctionne pas pour tous les aliments : les tomates, les fraises, les herbes aromatiques sont parfaitement adaptées aux éléments nutritifs apportés par les poissons.
En plus du Havre, et après avoir monté une ferme éphémère gare de l'Est, AMP a gagné des appels d'offres à Villepinte, à la Défense, et commence à regarder à l'international, car la demande est forte partout dans le monde.
Source : Magazine Normandinamik #23 | Novembre / décembre 2017
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