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COVID-19 : les épiceries de village y gagnent, la grande distribution s’adapte

Publié le  27/03/2020
Jacques-Olivier Gasly
Elles font partie du paysage de nos campagnes et sont pourtant de moins en moins nombreuses… Image d’un temps révolu pour certains, à l’instar des estaminets, ces commerces de proximité s’avèrent cependant jouer un rôle essentiel dans le contexte actuel… De leur côté, les grandes enseignes doivent aussi s’adapter et faire face à de nouveaux comportements, ce qui n’est pas toujours facile.

Poses, petit village touristique des bords de la Seine, dans le département de l’Eure, n’est plus que l’ombre de lui-même. En temps ordinaire, cette journée ensoleillée de mars donnerait lieu à de nombreuses allées et venues, sur sa rue principale et surtout sur son chemin du halage, livré aux piétons les week-end et jours fériés et également très prisé en semaine. Mais confinement oblige, le village semble désert… Tout juste voit-on quelques voitures prendre la direction de la rue de Léry. C’est là, à l’entrée du village, qu’est installée l’épicerie de Belgacem Kahouli.

« Dans un petit village comme celui-ci, on est au service du public. Les gens viennent pour de petites courses en général, du gruyère, de la crème… des lardons. On est en Normandie ! », s’amuse Belgacem Kahouli. Mais depuis les mesures de confinement, c’est indéniable : l’épicier constate de nouvelles habitudes et surtout l’émergence d’une nouvelle clientèle. « J’ai été contraint de m’adapter : pas plus d’un client dans le magasin et les autres attendent dehors. Je demande également aux clients de ne pas toucher les produits – c’est moi qui sers – et de respecter le marquage au sol car la fréquentation est plus importante, c’est certain », constate le gérant. « Il y a aussi des gens qui viennent juste pour acheter un article, rien que pour parler, voir du monde et libérer leurs angoisses. Vous savez, il y a beaucoup de personnes seules ou d’un certain âge ici », explique-t-il, endossant alors le rôle d’assistant social. Reste maintenant à savoir combien de temps cette situation pourra durer… « Ce matin, je suis allé chez Métro pour m’approvisionner sur le frais, et selon les produits, certains articles manquaient déjà ».

Dans la grande distribution en revanche, les difficultés d’approvisionnement ne figurent pas encore au chapitre des préoccupations premières. « Nous rencontrons peu de difficultés car nous travaillons en proximité avec nos services logistiques pour gérer nos stocks, mais également avec des producteurs locaux (agriculteurs, maraîchers, laiteries…) avec lesquels nous travaillons depuis près de 10 ans pour certains », explique Didier Julien, gérant de plusieurs enseignes Carrefour dans le Calvados. Des partenaires pour lesquels il lui arrive d’organiser lui-même la récupération de la marchandise, notamment chez ceux touchés par des mesures de chômage partiel.

Une organisation qui n’est pas toujours simple à tenir, surtout lorsque tout est à repenser… « Nous avons décidé d’ouvrir les magasins 30 minutes plus tôt afin de permettre aux séniors de faire leurs courses plus sereinement et nous fermons à 18h pour permettre aux collaborateurs d’être avec leur famille. Dans le même temps, nous devons gérer le pic des livraisons à domicile et la fréquentation des drives dont l’augmentation varie de 300 à 500 % suivant les cas… », explique Didier Julien qui doit également intégrer la composante RH.

« Afin de permettre une rotation au niveau des collaborateurs et d’éviter d’épuiser les équipes présentes, nous avons pris la décision de mettre une partie des collaborateurs en congés payés. Nous devons également faire face aux situations d’arrêt maladie, aux personnes absentes pour garde d’enfant ou qui ne souhaitent pas venir travailler par crainte… », détaille le responsable qui nous confiait ne jamais avoir connu, en 25 ans de métier, un tel engagement des équipes, qu’il tenait par-dessus tout à saluer.

Mais à chaque type d’activité correspond une problématique différente. Frédéric Dutheil, lui, est maître fromager et gérant de la société « Tout un fromage ». Depuis plus de 10 ans, il sillonne avec ses équipes les routes de l’Eure, de la Seine-Maritime et des Yvelines en faisant les marchés. En tout 12 marchés sur lesquels sont vendus des fromages dont il assure l’essentiel de l’affinage. Autrement dit, des produits frais qu’il convient désormais de ne pas perdre… « Pour maintenir nos emplois et ne pas jeter nos produits, je propose de mettre en place un système de livraison de produits laitiers frais sur les agglomérations d’Évreux, Louviers, Pacy-sur-Eure, Vernon ou encore les Andelys ».

Une situation qui concerne de nombreux producteurs qui, par la fermeture de leurs circuits classiques, risquent de devoir jeter de la marchandise. « C’est typiquement pour éviter cette situation qu’avec d’autres collègues, nous avons décidé d’ouvrir nos enseignes à des producteurs de proximité qui ne figuraient pas déjà sur la liste de nos partenaires réguliers », explique quant à lui François Callens, propriétaire des deux Intermarché de Louviers et d’Aubevoye (commune nouvelle du Val d’Hazey), dans l’Eure.

« Nous savons très bien que celui qui fournit les cantines des établissements scolaires ne retravaillera pas forcément avec nous une fois que le retour à la normale sera acté. Néanmoins, il est de notre responsabilité en tant qu’acteur du tissu local de les aider à passer ce cap difficile », poursuit-il. C’est ainsi, à titre d’exemple, que pour Pâques, ses clients ont de grandes chances de trouver en rayon boucherie de l’agneau local, initialement élevé pour de grandes tables étoilées, normandes et parisiennes.

Par  Jacques-Olivier Gasly